article sur dinrecords ou intervient medine et ibrah
Société
«La politique et la religion, il faudrait les enseigner à l’école»
Le collectif de rappeurs la Boussole chante que «le savoir est une arme».
Par et JACKY DURAND RAPHAEL YEM
QUOTIDIEN : samedi 28 juillet 2007
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LSA, trois lettres pour Le savoir est une arme . Au Havre (Seine-Maritime), les gars de la Boussole, un collectif de rappeurs ont réussi à conjuguer slogan militant et enseigne commerciale avec l’un de leurs titres phares. «C’est dans le crâne que se planque notre artillerie, fais le savoir que nos mots sont des balles» , dit le refrain du Savoir est une arme . Sur les tee-shirts qu’ils commercialisent, les rappeurs apposent leur devise au-dessus de l’effigie de Che Guevara, de Malcom X et de Mohamed Ali.
«On se retrouve dans les causes qu’ils ont défendues», explique Médine, 24 ans. Son nom évoque une ville sainte de l’islam. Médine est rappeur et musulman pratiquant. Il est l’un des piliers de Din Records, le label indépendant du rap français qui a vu le jour il y a bientôt dix ans au Havre sous l’impulsion du collectif la Boussole.
Bon perdant. Les bureaux de Din Records sont installés dans un appartement HLM au cœur de la cité de Montgaillard. L’endroit tient à la fois de la maison de disques artisanale, du studio d’infographie et de l’atelier de confection. On y parle aussi bien de gestion de l’entreprise, de musiques que de politique et de religion.
«Moi, je me sens de gauche , affirme Médine. Mes parents sont ouvriers. De par l’héritage familial, je ne peux pas voter à droite.» Au premier tour de l’élection présidentielle, Médine est allé voter avec ses parents, un frère et une sœur pour rendre visible «son engagement» de citoyen. En revanche, il est allé voter «en traînant les pieds» aux législatives. Il regrette « les lacunes de sa culture politique». «A la présidentielle de 2002, j’avais voté Robert Hue. Juste parce qu’il était de gauche et qu’il avait une barbe. [.] La politique, il faudrait l’enseigner à l’école , regrette le rappeur. On devrait aussi enseigner les religions. Il ne s’agirait pas de convertir les gens mais de les informer. Moi j’ai du mal à faire la différence entre les catholiques et les protestants.» Deux mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, Médine se dit « qu’il faut savoir être bon perdant». «Les gens ont voté pour lui car ils avaient envie de changement. Il a été plus malin que la gauche. Sarkozy force le respect. Ce mec issu d’une famille d’immigrés hongrois, il a fait un coup de théâtre dans une école maternelle de Neuilly [son intervention lors de la prise d’otages de 1994, ndlr], il est devenu président en poussant des coups de gueule dans chaque classe sociale.»
Placard. Ibrah, à la fois graphiste et rappeur, assis à côté de Medine, intervient : « On a été les premiers dans le rap à faire la promotion de Sarkozy à force de taper dessus. Les gens de l’extrême droite se sont dit : On va voter pour lui parce que les rappeurs ne l’aiment pas [.] Puisqu’on a un président à l’américaine, continue Ibrah, il faut s’attendre à des ghettos à l’américaine. Les Maghrébins avec les Maghrébins, les Noirs avec les Noirs, ça vient doucement. Détruire les immeubles pour en faire des pavillons, ça ne changera rien, les gens resteront toujours entre eux. Ici, il n’y a pas de mélange avec la ville basse [le centre-ville du Havre, ndlr] .» Ibrah dessine dans l’air le plan de son quartier : «Auchan, la police, on a tout dans le quartier pour éviter que l’on se mélange aux autres.» Et la discrimination positive prônée par Nicolas Sarkozy n’y changera rien : «C’est une façon sournoise de dire : On va garder l’élite de l’immigration et le reste, on les foutra au placard », estime le rappeur.
Une certaine parole s’est aussi libérée dans l’opinion publique avec l’élection du nouveau Président, selon Médine : «Les gens pensent qu’ils ont le droit d’être racistes et de dire qu’ils n’aiment pas les gars des quartiers.» Il redoute aussi «cette islamophobie» en train selon lui, «de s’installer en France» . Et ne se reconnaît pas dans le Conseil français du culte musulman impulsé par Nicolas Sarkozy : «Ce sont des gens que l’on a installés pour réglementer les festivités de la fin de l’Aïd comme l’abattage des moutons. Pourtant nos pratiques religieuses ne s’arrêtent pas au couscous-merguez. Une bonne prise en charge du culte musulman aurait consisté à construire des mosquées pour que les gens ne prient plus dans les caves. Il faut organiser le culte musulman de façon à ce qu’il soit respecté.»